samedi 25 juin 2011

À Paris, à vélo...

Chères amies lectrices et chers amis lecteurs,

J'ai le plaisir de vous présenter notre nouvelle collaboratrice, Marie-Eve Mespouille, qui possède un talent délicat  à mettre des mots sur les moments de la vie.
Elle nous proposera de temps en temps quelques touches sur ce qui fait nos moments de vie, nous les femmes. 
Je vous souhaite une bonne lecture et surtout beaucoup de plaisir.

Orianne



            Mon vélo à la main, je sors dans la rue Boulard. En ouvrant la porte, je sens déjà un parfum de liberté. Ma jupette courte à papillons de chez CA, moins chère que celle de chez Lafayette, la rue en face, s’envole avec le vent du matin, découvrant mes jambes un tantinet agitées... Après ma journée de travail, la veille, et les papotes entre collègues, suivi d’un repérage des théâtres ouverts les lundis à Paris dans les quartiers de la Madeleine, j’ai les pieds en compote. J’ai donc décidé ce mardi de randonner à deux roues depuis l’hôtel Bio où j’ai dormi, jusqu’au Père Lachaise dans le 20ème. Je laisse, sur ma droite, la rue Daguerre, ses restaurants fermés, et la place Denfert-Rochereau avec sa station métro surmontée d’un hideux cheval de bronze vert et j’enfourche allègrement le boulevard Raspail, en direction du cimetière Montparnasse, facilement repérable sur ma carte tenue à une main, à côté de mon frein. Je jouis, sur quelques mètres, de ma récente trouvaille : tous les boulevards de Paris ou presque comportent aujourd’hui des bandes de circulations spécialement réservées aux bicyclettes, bus et taxis. Il suffit à l’usager de suivre les pictogrammes, de petits vélos dessinés à même le sol, ou sur des panneaux à bonne hauteur, pour zigzaguer en paix à l’abri du trafic automobile.
            Je bifurque dans des ruelles à droite. Quel calme après le boulevard ! C’est encore l’heure des camions-poubelles et je teste avec vigueur mes freins pour ne pas culbuter dans une benne béante qui tentait de m’aspirer. Je me rattrape à la bordure de droite. Ouf ! J’ai vérifié auparavant la hauteur de ma selle : juste assez haute pour ne mettre à terre que la pointe du pied, mais suffisamment basse, pour ne pas faire un angle à 45 degrés, lorsque je prends appui au sol. Je laisse un vélo plus rapide me dépasser et constate qu’à cette heure matinale, beaucoup de Parisiens vont à leur travail ou conduisent leur enfant à l’école par ce moyen de locomotion.
            J’arrive en face du jardin du Luxembourg que je longe par la gauche, en prenant le trottoir large de quatre mètres. Merveille ! Sur les grilles du parc, moitié à pied, moitié trottinant sur la pédale de mon vélo, j’admire de sublimes tableaux de femmes d’Olivier Martel. Une exposition impromptue d’une centaine de photographies prises aux quatre coins du monde. Entre les photos figées, je zoome à l’arrière plan, derrière les grilles, des coureurs de fond qui s’entraînent sur les sentiers de gravier champagne. Cela crisse sous leurs chaussures, pendant que, devant moi, deux dames papotent en titi parisien. Plongée dans mes tableaux de femmes sans vraiment écouter, j’amalgame leur ton chantant aux accents des langues étrangères perçues de l’autre côté de la grille. Je profite de la magie de l’instant.
            Je me retrouve pédalant quelques moments plus tard dans la rue de Vaugirard. Tiens, c’est là que j’étais la veille avec mes collègues ! Je reconnais les ruelles bordées de café et d’écoles bourrées, à l’entrée, d’enfants. Devant l’ancienne bibliothèque, je prends à droite, le boulevard Saint-Michel. Mon repère, la Sorbonne, Saint-Séverin. Les rues s’animent. Déjà cinq kilomètres parcourus en 100 000ème sur mon plan gratuit des galeries.
            Je roule, je roule. Je prends même de l’assurance. J’attrape au vol et suis, dans une course folle, un groupe de citadins en goguette. Devant le pont sur la Seine, une dame freine, juste à temps ! Au feu orange, bien que les vélos puissent passer, une automobile a failli tamponner la bicyclette. La dame s’efface, laisse tonitruer l’auto, coups de klaxons et j’en passe. Je m’engage à mon tour, prudemment. Je me retrouve sur les quais, de l’autre côté de la Seine. La piste cyclable fait des rebonds. En traversant le boulevard, je loupe le coche et me retrouve en train de traverser la rue à vélo sur un passage piéton. Y a pas de mal ! Les bateaux amarrés aux quais m’attirent. Je mets semelle à terre et prend en photo, pour mon homme, la Capitainerie et ses bateaux. Suis-je dans le 1er, le 2ème ou le 3ème arrondissement ?
            Je réenfourche quelque part à droite et vise le nom de la rue, boulevard des filles du Calvaire. Par bonheur, je n’en suis pas une !  Un peu plus loin, c’est le Boulevard du Temple, y a-t-il un rapport avec la rue précédente ? Ensuite la place de la République… Il faut de tout pour faire un monde. Me voici dans le 11ème ! Ne me demandez pas où, tant que je roule entre les voitures ! Stressée par des files qui s’entrecroisent, je visualise au loin un rond-point, serait-ce le pic doré de la place de la Concorde? Comment je vais faire ? Surtout ne pas caler. Ah ! Voilà mon sauveur : à deux mètres, un vélo muni d’un bac à bébé, dont le conducteur, très à l’aise dans ce bruyant rond-point parle au téléphone en roulant. C’est un bon plan ! Collée à ses basques, heureusement il n’en a pas sinon elles se prendraient dans ses rayons, je prends son rythme. Il zigzague entre les engins dangereux qui m’accostent de toutes parts. J’en sors… vivante, avec un sentiment de liberté triomphante. Je prends tout droit l’avenue de la République. Partout, des panneaux indiquent « Père Lachaise ». Arrivée au cimetière, il est onze heures. Trop tôt pour manger dans ce charmant restaurant portugais en face du mur ombré de cyprès. J’attaque le porche du cimetière à vélo, un garde me hèle :
— Hé, Madame !
Je demande où il y a un parking à vélo.
— Attachez-le à la chaine à l’entrée !
Il disparait dans sa guérite, les touristes à l’entrée consultent leurs plans.             J’obtempère. À pied, je grimpe vers le monument aux morts, pense à mon grand-père. Fermé pour cause de travaux. Je fais demi-tour, j’ai repéré sur le plan à l’entrée, la tombe du docteur Hauzman, le père de l’homéopathie, faute de grive, c’est quelque part à droite. Mais en marchant, plus de plan ! Où fallait-il se le procurer ? Je vois au loin, un troupeau de touristes…Avec un peu de chance, je ferai connaissance de quelques morts importants, mais, les stars ne m’intéressent pas. Je pense à Émile Royer, le héros de ma dernière nouvelle, « une femme du peuple ». Je ne me fais pas trop d’illusions, c’est vaste ici. Dans ces dédales, je fais son deuil. Pauvre héroïne !  Les tombes sont pierreuses, ont des formes biscornues. Ça ne sent pas bon. L’odeur de la mort, ça me rappelle mon grand-père. Je fais un cercle vers la droite, et redescends à onze heures, je tiens la forme. Il est midi, j’ai retrouvé mon vélo.
Heureusement que l’hôtel Solar nous fournit des cadenas solides… y a beaucoup de vols à Paris… J’ai écouté dans le métro tous les messages de sécurité… Qu’aurais-je fait sans vélo, à Paris ? À Paris, sans vélo, toute seule ?
            Du boulevard de Ménilmontant, je fixe à l’horizon la Tour Montparnasse, c’est tout droit, je descends. Je me rassure : à Paris, ça descend toujours ! Je chante « Nini peau de chien », rapport à mon roman cette fois. Je passe la tour de la Bastille. Ici, Mamita, c’est moi ! Pont d’Austerlitz, je vise les quais, j’aperçois Notre-Dame. Je la renifle, les quais sont populeux. Je passe ensuite à côté de l’institut du monde arabe. Pauvre Nini, seule dans Alger. J’arrête mon vélo près d’un jardin, le jardin des plantes. Une foule de bambins munis d’institutrices s’animent devant les grilles. Je remonte par la rue Buffon, celle-là, je la conseille pour ses éléphants en bronze qui me regardent passer. Je me retrouve rue Mouffard. J’ai soif. L’oncle de Rasoul me déconseille les raisins de son étal, ils sont blets. J’achète une barquette de tomates-cerises poussiéreuses pendant qu’au coin, un chanteur de rue entonne « la valse brune ».
            Je me la ramène boulevard d’Arago. Tiens ! J’ai vu sa tombe à celui-là : « tes yeux sont si profond qu’en me penchant pour boire… » J’ai si soif !  Je pédale Denfert vers Rochereau. Rue Daguerre, les piétons parlotent ou s’arrêtent pour boutiquer, boire un café. Tiens, je mangerais bien ce petit « tajine aux figues », là, tout à l’heure. Elles sont fraiches au moins ? À moins qu’une petite « andouillette » ? J’en raffole.
            Mon hôte m’accueille, la porte ouverte. Le jardin derrière l’hôtel Solar reçoit mon vélo, il est midi trente. En picorant mes tomates-cerises, dans la cour, j’écris sur la petite table en aluminium, sous les arbres, à côté du compost traditionnel. Le vent caresse mes jambes. Par la fenêtre, les dames de service, « bio » jusque dans leurs tabliers, prennent leur repas en jetant un œil vers moi. Elles me sourient.  À quand  la prochaine petite sortie à Paris?


Marie-Eve Mespouille.

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